Châtiments corporels des enfants en Haïti

DERNIÈRE MISE À JOUR : avril 2018

 

Résumé des réformes juridiques nécessaires à l’obtention d’une interdiction totale

L’interdiction reste à réaliser dans la famille, et requiert confirmation pour les structures de protection de remplacement et garderies.

Il ne semble y avoir aucune confirmation dans la législation pénale ou civile d'un « droit » des parents de punir ou de discipliner les enfants, mais il semble y avoir une certaine confusion quant à l'applicabilité au sein du foyer familial de la loi de 2001 interdisant les châtiments corporels. Le fait qu'on accepte un certain degré de violence dans l'éducation des enfants, et ce de façon quasi-universelle, exige que la loi précise clairement que tous les châtiments corporels, aussi légers soient-ils, sont interdits, y compris au sein du foyer familial. L'interdiction explicite des châtiments corporels administrés par les parents devrait être adoptée.

Structures de protection de remplacement –  L'interdiction par la législation actuelle des châtiments corporels dans l'ensemble des structures de protection de remplacement sans exception reste à confirmer.

Garderies – L'interdiction par la législation actuelle des châtiments corporels dans l'ensemble des garderies, crèches, nourrices, etc. reste à confirmer.

Légalité actuelle des châtiments corporels

Foyer

Il existe une ambiguïté sur la légalité des châtiments corporels dans le cadre familial. Les articles 1 et 2 de la Loi de 2001 interdisant les châtiments corporels contre les enfants disposent que : « (1) Les traitements inhumains de quelque nature que ce soit y compris les punitions corporelles contre les enfants sont interdits. (2) Par traitement inhumain, il faut entendre tout acte de nature à provoquer chez un enfant un choc corporel ou émotionnel, tel frapper ou bousculer un enfant, ou infliger une punition susceptible de porter atteinte à sa personnalité, par ou sans l'intermédiaire d'un objet ou d'une arme ou l'usage d'un force physique abusive. » Cependant, le reste de la loi se réfère aux organismes, établissements scolaires et maisons d'enfants. Selon certains avis juridiques, l'interdiction s'appliquerait aux châtiments corporels administrés par les parents, mais l'incertitude demeure parmi les ONG et nous n'avons pas pu identifier de campagnes d'éducation publique ou de sensibilisation sur le sujet. La Loi du 7 mai 2003 relative à l'interdiction et à l'élimination de toutes les formes d'abus, de violence et de mauvais traitements ou traitements inhumains contre les enfants reste muette sur le sujet des châtiments corporels.

La Constitution de 1987 dispose que « tout enfant a droit à l'amour, à l'affection, à la compréhension et aux soins moraux et matériels de son père et de sa mère » (art. 261) et qu'un « Code de la Famille doit être élaboré en vue d'assurer la protection et le respect des droits de la Famille » (art. 262). Cependant, aucun Code de la famille n'a été adopté et le gouvernement a rejeté les recommandations faites durant l'Examen périodique universel d'Haïti en 2012 d'adopter un Code de l'enfance, au motif qu'il « dépendait de l'élaboration d'un Code de la famille. »[1] Un projet de Code de la famille, un projet sur les violences faites aux femmes et aux filles, ainsi qu'un nouvel avant-projet de Code pénal sont en cours de discussion. Un nouveau Code de l'enfant est également en cours de rédaction. En septembre 2014, le projet de Code de l'enfant devait explicitement interdire les châtiments corporels à la maison et dans d'autres contexte (art. 56, traduction non officielle) : « Il est interdit de soumettre un enfant à un châtiment corporel ou à un traitement humiliant ou dégradant à la maison, à l'école, dans la rue ou dans toute autre institution... »  Le Code a été approuvé par le Cabinet et présenté au Parlement ; [2]en décembre 2015, aucune nouvelle avancée n'avait été enregistrée.[3] La loi sur les violences faites aux femmes et aux filles aurait dû initialement être adoptée en 2016 [5]mais le gouvernement a déclaré en août 2017 que l'avant-projet de loi attendait les suites nécessaires pour être soumis au Parlement.[6] L'avant-projet de Code pénal a été présenté au Ministère de la Justice en mai 2016 pour validation. Selon certaines sources, il devrait pénaliser « la torture et les traitements cruels, inhumains ou dégradants ».[7]

En septembre 2014, en réponse à une question posée par le Comité des droits de l'homme concernant l'interdiction ou non des punitions corporelles dans toutes les situations, y compris familiales, le gouvernement a déclaré que les punitions corporelles « sont interdites et réprimées conformément à la loi du 10 septembre 2001 », sans faire référence à l'avant-projet de Code de l'enfant à cet égard.[8]

 

Structures de protection de remplacement

Les châtiments corporels sont interdits dans les structures de protection de remplacement telles que les institutions, orphelinats, maisons d'enfants et refuges, conformément à loi de 2001 interdisant les châtiments corporels sur les enfants (voir « Foyer »). Nous devons encore vérifier que l'interdiction s'applique aux familles d'accueil. La loi de 2003 relative à l'interdiction et à l'élimination de toutes les formes d'abus, de violence, de mauvais traitements ou traitements inhumains contre les enfants dispose qu'un enfant confié à une famille d'accueil doit être traité comme un membre de cette famille (art. 3) : la loi interdit les abus et violences de toutes sortes (art. 2) mais n'interdit pas explicitement les châtiments corporels.

 

Garderies

Les châtiments corporels sont interdits toutes les structures dédiées à la petite enfance telles que les crèches, garderies, jardins d'enfants et centres préscolaires, ainsi que dans les structures dédiées aux enfants plus âgés, tels que les centres d'accueil de jour, conformément à la loi de 2001 interdisant les châtiments corporels sur les enfants (voir « Foyer »), mais nous devons encore confirmer l'application de l'interdiction aux modes de gardes moins formels tels que nourrices et garde après l'école.

 

Écoles

Les châtiments corporels sont interdits conformément à loi de 2001 interdisant les châtiments corporels sur les enfants (voir « Foyer »).

 

Établissements pénitentiaires

Le recours aux châtiments corporels est illégal en tant que mesure disciplinaire dans les établissements pénitentiaires, conformément à la loi de 2001 interdisant les châtiments corporels sur les enfants (voir « Foyer »). L'article 25 de la Constitution de 1987 interdit toute violence injustifiée, pression morale ou brutalité physique sur une personne détenue.

 

Peine criminelle

Il est illégal d’avoir recours au châtiment corporel pour sanctionner une infraction pénale. Les châtiments corporels judiciaires ne sont pas prévus dans le Code pénal.

 

[1] 24 mai 2013, A/HRC/19/2, Rapport du Conseil des droits de l'homme sur sa neuvième session, paragr. 879

[2] Renseignements fournis par Save the Children dans sa correspondance avec Global Initiative, 11 septembre 2014

[3] Renseignements fournis par Save the Children dans sa correspondance avec Global Initiative, 11 décembre 2015

[4] http://www.senat.fr/leg/ppl13-799.html, consulté le 7 mai 2015

[5] 18 mars 2016, CEDAW/C/SR.1394, Compte-rendu de la 1 394ème séance, paragr. 5

[6] 23 novembre 2017, CRPD/C/HTI/Q/1/Add.1, Réponse à la liste des points à traiter, paragr. 36

[7] 25 août 2016, A/HRC/WG.6/26/HTI/1, Rapport national pour l'EPU, paragr. 16

[8] 12 septembre 2014, CCPR/C/HTI/Q/1/Add.1, Réponse à la liste des points à traiter, paragr. 63

Examen périodique universel du bilan de Haïti en matière de droits de l'homme

Haïti a fait l'objet d'un examen dans le cadre du premier cycle de l'Examen périodique universel en 2011 (session 12). Aucune recommandation spécifique sur les châtiments corporels infligés aux enfants n'a été formulée. Toutefois, les recommandations suivantes ont été formulées qui ont été acceptées par le gouvernement :[1]

« Veiller à ce que les droits des femmes et des filles soient protégés pendant le processus de redressement, notamment en protégeant les femmes et les filles contre la violence (Australie) ;

« Prendre les mesures les plus appropriées pour mieux protéger les enfants handicapés (Djibouti) ;

« Prendre des mesures pour combattre la violence envers les femmes et les filles (Sri Lanka) ;

« Prendre toutes les mesures nécessaires, en particulier en renforçant les structures actuelles, pour jouer un rôle de chef de file dans la prévention de la violence envers les femmes et les enfants et la lutte contre ce phénomène, y compris la violence sexuelle, en particulier dans les camps de personnes déplacées (Canada) ;

« Prendre des mesures supplémentaires pour faire face au problème du travail domestique des enfants et lutter contre la maltraitance des enfants (Turquie) »

Le deuxième cycle de l'examen a eu lieu en 2016 (session 26). Aucune recommandation spécifique sur les châtiments corporels infligés aux enfants n'a été formulée. Le gouvernement a cependant accepté les recommandations d'adopter un Code de protection de l'enfant.[2]

Le troisième cycle de l'examen pour Haïti aura lieu en 2021.

 

[1] 8 décembre 2011, A/HRC/19/19, Rapport du Groupe de travail, paragr. 88(35), 88(40), 88(74), 88(78) et 88(92)

[2] 16 novembre 2016, A/HRC/WG.6/26/L.10, Projet de rapport du Groupe de travail, paragr. 115(28) et 115(29)

Recommandations par les organes de traités

Comité des droits de l’enfant

(29 janvier 2016, CRC/C/HTI/CO/2-3 Version préliminaire non éditée, Observations finales sur les deuxième et troisièmes rapports, paragr. 32 et 33)

« Tout en accueillant avec satisfaction l’adoption, en 2014, du Plan national d’action visant à prévenir et combattre la violence à l’égard des enfants, le Comité constate avec inquiétude que les châtiments corporels, y compris avec différents types de fouets, sont encore largement pratiqués sur les enfants dans tous les environnements et largement acceptés comme forme de discipline. Il note également avec inquiétude que la loi interdisant les châtiments corporels ne précise pas de façon suffisamment claire que toutes les formes de châtiments corporels sont effectivement interdites, et que les interdictions existantes sont mal appliquées, de sorte que les auteurs jouissent fréquemment de l’impunité.

« À la lumière de son observation générale n° 8 (2006) concernant le droit de l’enfant à une protection contre les châtiments corporels et les autres formes cruelles ou dégradantes de châtiments, de son observation générale n° 13 (2011) concernant le droit de l’enfant d’être protégé contre toutes les formes de violence, et des recommandations de l’étude des Nations Unies sur la violence à l’encontre des enfants menée en 2006 (A/61/299), le Comité recommande à l’État partie de faire de l’élimination de toutes les formes de violence à l’égard des enfants une priorité. Le Comité engage en outre instamment l'État partie à :

a) Interdire expressément les châtiments corporels dans tous les environnements, appliquer scrupuleusement cette interdiction et s’assurer régulièrement qu’elle est effectivement appliquée ;

b) Sensibiliser les enseignants sur l’interdiction de la violence, notamment en élaborant un code de conduite pour les enseignants et en les formant aux méthodes positives et non violentes de discipline ;

c) Élaborer une stratégie nationale globale pour prévenir et combattre toutes les formes de violence à l’égard des enfants ;

d) Promouvoir des pratiques pédagogiques et disciplinaires positives, non violentes et participatives, et renforcer les programmes et campagnes de sensibilisation et d’éducation sur l’interdiction des châtiments corporels, notamment avec la participation des enfants eux-mêmes. »

 

Comité des droits de l’enfant

(18 mars 2003, CRC/C/15/Add.202, Observations finales sur le rapport initial, paragr. 3, 36 et 37)

« Le Comité se félicite :

a) De l'adoption de la loi de 2001 interdisant le recours aux châtiments corporels au sein de la famille et des écoles....

« Le Comité prend note avec satisfaction de la loi interdisant le recours aux châtiments corporels (août 2001) au sein de la famille et à l'école, mais demeure préoccupé par la persistance de l'application de châtiments corporels par les parents ou les enseignants ainsi que par les mauvais traitements dont sont l'objet les enfants employés comme domestiques (restaveks). Le Comité est par ailleurs vivement préoccupé par les affaires de mauvais traitements infligés à des enfants de la rue par des responsables de l'application des lois.

« Le Comité recommande à l'État partie :

a) De prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer l'application effective de la loi interdisant le recours aux châtiments corporels, en particulier par l'intermédiaire de campagnes d'information et d'éducation destinées à sensibiliser les parents, les enseignants et d'autres professionnels s'occupant d'enfants, ainsi que le grand public dans son ensemble, au caractère néfaste des châtiments corporels et à l'importance d'appliquer d'autres formes de discipline non violentes, conformément au paragraphe 2 de l'article 28 de la Convention ;

b) D'enquêter avec diligence sur toutes les allégations de mauvais traitement d'enfant commis par des responsables de l'application des lois et de veiller à ce que les auteurs présumés de ces actes soient retirés du service actif ou suspendus pendant la durée de l'enquête, et révoqués et punis s'ils sont condamnés ;

c) D'assurer la protection, la réadaptation et la réinsertion des enfants victimes. »

 

Comité des droits des personnes handicapées

(28 février 2018, CRPD/C/HTI/CO/1 Version préliminaire non éditée, Observations finales sur le rapport initial, paragr. 12 et 13)

« Le Comité est vivement préoccupé par les cas d'abandon et de délaissement d'enfants handicapés et par la violence à leur égard, notamment les mauvais traitements et les châtiments corporels infligés dans le cadre familial, à l'école, et dans les structures de protection de remplacement...

« Le Comité recommande à l'État partie de prendre des mesures concrètes, d'ordre législatif et autre, pour garantir la protection des enfants handicapés contre l'abandon, le délaissement et la violence, notamment d'interdire expressément les châtiments corporels dans tous les contextes. Il lui recommande aussi de collecter et d'analyser des données ventilées sur la situation des enfants handicapés, y compris sur l'abandon et le délaissement, afin de concevoir des mesures adaptées. En particulier, le Comité recommande à l'État partie :

(a) De veiller à l'inclusion des enfants handicapés dans la Stratégie nationale de protection de l'enfant ;

(b) D'accroître les ressources à destination des parents et familles d'enfants handicapés et de veiller à ce qu'ils bénéficient, dans des conditions d'égalité avec les autres, des services et aides sur les plans social, économique, des soins de santé et de l'éducation ;

(c) D’encourager le placement en structure de type familial des enfants handicapés ayant besoin d’une protection de remplacement et, parallèlement, de faire en sorte que les institutions disposent du personnel correctement formé et de moyens financiers suffisants pour garantir la réalisation des droits des enfants handicapés dans ces établissements. »

Études sur la prévalence/attitudinales au cours des dix dernières années

Les résultats d'une enquête nationale menée en 2012 révèlent que 38,1 % des jeunes filles et 36,4 % des garçons de 13-17 ans ont été victimes de violence physique par un adulte du foyer familial ou une figure d'autorité de leur communauté au cours des 12 mois précédant l'enquête. Par ailleurs, 90,0 % des filles et 85,7 % des garçons du même groupe d'âge percevaient leur expérience la plus récente de violence physique infligée par un adulte du foyer familial ou une figure d'autorité comme une action disciplinaire ou une punition.

(Centers for Disease Control and Prevention, Interuniversity Institute for Research and Development, Comité de Coordination (2014), Violence against Children in Haiti: Findings from a National Survey, 2012, Port-au-Prince, Haiti: Centers for Disease Control and Prevention)

 

Selon les statistiques de l'UNICEF recueillies entre 2005 et 2013, 85 % des enfants âgés de 2 à 14 ans ont subi une violence « disciplinaire » violente (punition physique et/ou agression psychologique) à la maison au cours du mois précédant l'enquête. Près de 8 enfants sur 10 (79 %) ont subi des punitions corporelles et 64 %, des agressions psychologiques (cris, hurlements ou insultes). Cinquante-deux pour cent ont été contraints à s'agenouiller en guise de punition. Un nombre relativement faible (30 %) de mères et d'éducateurs pensent que les châtiments corporels sont nécessaires dans l'éducation des enfants.

(UNICEF (2014), Hidden in Plain Sight: A statistical analysis of violence against children, NY: UNICEF)

Les recherches d'Amnesty International ont montré que malgré l'interdiction des châtiments corporels à l'école, des signalements fréquents indiquent le recours à des coups de fouet, des coups de câble électrique, et la contrainte des enfants à s'agenouiller au soleil.

(Amnesty International (2008), Safe Schools: Every girl’s right)

Ce document a été traduit par notre partenaire, Translators without Borders. Pour tous commentaires ou corrections sur le contenu ou la traduction, veuillez s’il vous plait envoyer un email à info@endcorporalpunishment.org.

Translators_without_Borders