Châtiments corporels des enfants en Mauritanie

DERNIÈRE MISE À JOUR : juin 2018

 

Résumé des réformes juridiques nécessaires à l’obtention d’une interdiction totale

L’interdiction doit encore être imposée dans le cadre familial, dans la prise en charge de remplacement, dans les garderies, dans les écoles et dans les établissements pénitentiaires.

Nous n’avons pu déterminer si la législation écrite reconnaît ou pas un « droit », pour les parents et les tiers, de punir ou corriger un enfant physiquement, mais il reste que les châtiments corporels sont largement tolérés et les dispositions législatives visant la violence et la maltraitance ne sont pas interprétées comme interdisant le châtiment corporel des enfants en tant que méthode disciplinaire. Il est impératif d’adopter l’interdiction de toutes formes de châtiment corporel, y compris celles qui sont infligées par les parents.

Prises en charge de remplacement — une interdiction devrait être promulguée par le biais de lois applicables à toute prise en charge de remplacement (familles d’accueil, établissements, lieux sûrs, soins d’urgence, etc.).

Garderies — les châtiments corporels devraient être interdits dans tous les lieux d’accueil pour petits enfants (pouponnières, crèches, écoles maternelles, établissements préscolaires, centres familiaux, etc.) et pour enfants plus âgés (centres d’accueil de jour, garde parascolaire, garde d’enfants, etc.).

Écoles — la directive ministérielle contre l’utilisation des châtiments corporels dans les écoles devrait être confirmée par l’adoption de lois interdisant expressément tous les châtiments corporels dans les établissements éducatifs publics ou privés, et ce à tous les niveaux.

Établissements pénitentiaires — le châtiment corporel en tant que mesure disciplinaire devrait être interdit dans tous les établissements accueillant des enfants en conflit avec la loi.

Sanctions pénales — tous les châtiments corporels judiciaires devraient être interdits par la loi, y compris ceux qui sont imposés en vertu de la loi islamique.

Légalité actuelle des châtiments corporels

Foyer

La loi autorise le châtiment corporel au sein du foyer. Les dispositions visant à prévenir la violence et les mauvais traitements, dans le Code pénal de 1983, dans la loi de 2003 « sur la traite des personnes », dans le Code du statut personnel de 2001 et dans la Constitution de 1991, ne sont pas interprétées comme interdisant tout châtiment corporel infligé aux enfants. L’ordonnance n° 2 005 015 du 5 décembre 2005 sur la protection judiciaire de l’enfant précise que le fait de soumettre un enfant à des tortures ou à des actes de barbarie est puni de « six ans de réclusion criminelle » ; elle prévoit de lourdes peines si l’infraction est commise de manière habituelle ou si elle résulte en des séquelles, une mutilation, une infirmité ou la mort (art. 11), mais elle n’interdit pas le châtiment corporel en soi. En 2009, une fatwa a été émise contre les châtiments corporels infligés aux enfants, sans toutefois être suivie d’une réforme législative.[1] Un projet de loi sur la violence à l’encontre des femmes est en cours de discussion. [2]

Le gouvernement n’a pas fait suite aux recommandations visant l’interdiction de tous châtiments corporels des enfants, faites lors de l’Examen périodique universel de la Mauritanie en 2010.[3]

En 2017, le gouvernement a signalé au Comité contre la torture que le projet de loi pour la protection de l’enfant criminalisait les châtiments corporels infligés aux enfants. [4] Le projet de loi a été adopté par l’Assemblée nationale en juin 2017[5] puis a été transmis au Sénat — toutefois, à la suite d’un referendum en août 2017, le Sénat a été « aboli ».[6] En décembre 2017, le Code a été soumis à un autre vote de l’Assemblée nationale.[7] Le gouvernement a déclaré que le Code avait été adopté et promulgué,[8] mais nous n’avons pas été en mesure de confirmer si cela avait bien été publié au journal officiel. Bien que le gouvernement ait déclaré que le Code interdisait tous châtiments corporels infligés aux enfants, il n’y a pas d’interdiction explicite à cet effet. L’article 15 dispose que les enfants « ne doivent en aucun cas être soumis à des traitements ou des châtiments cruels, inhumains ou dégradants qui mettraient en danger leur bien-être physique ou mental » (italique ajouté, texte non officiel). Cela protège en effet les enfants d’une partie des formes de châtiments corporels, mais pas de toutes.

 

Structures de protection de remplacement

La fatwa contre les châtiments corporels (voir sous « Foyer ») serait vraisemblablement applicable aux institutions de prise en charge de remplacement, y compris dans le système kafala, mais aucune interdiction explicite des châtiments corporels n’est édictée dans la loi.

 

Garderies

La fatwa contre les châtiments corporels (voir sous « Foyer ») serait vraisemblablement applicable aux systèmes de soins et d’éducation de la petite enfance et aux garderies pour enfants plus âgés, mais la loi n’interdit pas explicitement le châtiment corporel.

 

Écoles

Le Ministère de l’éducation a déclaré que les châtiments corporels ne devraient pas être utilisés (Décision n° 701 MEN/PR du 4 novembre 1968, art. 17), mais la loi ne prévoit pas d’interdiction explicite à cet effet. Les lois applicables comprennent la loi n° 099-012 du 26 avril 1999 sur la réforme du système éducatif et la loi n° 2001-054 du 19 juillet 2001 sur l’éducation obligatoire de base : il nous reste encore à examiner les textes entiers de ces lois.

 

Établissements pénitentiaires

L’article 136 du Code de protection de l’enfant, qui est applicable aux enfants dans les établissements pénitentiaires, dispose que (traduction non officielle) : « [...] Il est interdit, même pour des raisons disciplinaires, d’infliger à un détenu mineur un traitement cruel, inhumain ou dégradant tel que : le châtiment corporel [...] et toute forme de châtiment pouvant avoir des conséquences néfastes sur la santé mentale et physique du mineur ». Il n’est pas clair si cela sera applicable à tous les enfants impliqués dans une poursuite pénale, en particulier ceux devant purger leur peine en institutions pour délinquants mineurs prévues aux articles 130 et 131 de l’Ordonnance 205 portant protection pénale de l’enfant. Nous n’avons pas été en mesure de confirmer si le Code avait été publié au journal officiel.

Le Code de procédure pénale de 2007 fournit une protection plus générale contre la violence, déclarant dans l’article 58 : « Toute personne privée de sa liberté par arrestation, détention ou toute autre forme de privation de liberté doit être traitée dans le respect de la dignité humaine. Les mauvais traitements physiques ou moraux des détenus [...] sont interdits. »  L’article 15 de la loi n° 2010-07 du 20 janvier 2010 portant règlement de la police nationale interdit « tout traitement cruel ou dégradant qui enfreint les droits de l’homme ». Le décret n° 2003-1524 (2003) des règlements structurels des centres de réhabilitation pour enfants en conflit avec la loi contient des dispositions concernant les droits de l’enfant, mais aucun autre détail ne nous est disponible à ce sujet.

 

Peine criminelle

Le recours aux châtiments corporels dans le cadre d’une sanction pénale est légal. L’article 13 de la Constitution dispose que « Toute forme de violence morale ou physique est interdite », pourtant le Code pénal de 1983 prévoit des peines d’amputation et de flagellation (p. ex. art. 7). L’ordonnance n° 2005-015 sur la protection judiciaire des enfants précise que la peine éventuelle imposée à un mineur âgé de 15 à 18 ans et reconnu coupable d’infraction ne peut dépasser la moitié de la peine qui serait imposée à un adulte, mais elle n’interdit pas les châtiments corporels. 

L’article 285 du Code pénal prévoit que « Toute personne majeure qui, volontairement, aura fait des blessures ou porté des coups ou amputé un membre de l’organisme, ou toutes autres violences et voies de fait à un innocent, sera punie de la peine de “Ghissass” [loi du talion] ». Nous devons encore vérifier quel âge définit le statut d’adulte aux fins de la présente disposition.

 

[1] « L’interdiction des châtiments corporels excessifs sur les enfants dans la Charia (loi islamique) : extrait d’une étude détaillée, sociale, éducationnelle et légale portant sur les conséquences négatives de la voie de fait à l’égard des enfants, et les lois régissant ce sujet dans la Charia (loi islamique) », par le Professeur Imam Hadd Amin Ould Al-Salek, Imam de la vieille mosquée, Nouakchott, et Président de la coalition d’Imams et d’Ulémas pour les droits des femmes et des enfants en Mauritanie, juin 2009

[2] 6 août 2015, A/HRC/WG.6/23/MRT/1, Rapport national au titre de l’Examen périodique universel, par. 54 ; voir aussi 23 mars 2016, A/HRC/31/2 version préliminaire non revue par les services d’édition, Projet de rapport du Conseil des droits de l’homme sur sa 31e session, par. 288

[3] 4 janvier 2011, A/HRC/16/17, Rapport du groupe de travail, par. 92(30), 92(39), 92(40), 92(42) et 92(45)

[4] 20 février 2017, CAT/C/MRT/2, Deuxième rapport, par. 143

[5] Voir http://www.assembleenationale.mr/2017/06/13/adoption-du-projet-de-loi-12517/, consulté le 21 juillet 2017

[6] Voir http://www.bbc.co.uk/news/world-africa-40847092, consulté le 4 septembre 2017

[7] Voir « L’Assemblée nationale adopte le projet de loi portant code général de la protection de l’enfant » http://fr.ami.mr/Depeche-43216.html, consulté le 31 janvier 2018

[8] 13 juin 2018, CAT/C/MRT/Q/2/Add.1, Réponses à la liste des points à traiter, par. 164

Examen périodique universel du bilan de la Mauritanie en matière de droits de l’homme

La Mauritanie a été examinée dans le cadre du premier cycle de l’Examen périodique universel, en 2010 (9e session). Ont été formulées les recommandations suivantes :[1]

« Abroger les lois mauritaniennes relatives à la peine de mort et aux châtiments corporels et établir des procédures spéciales en matière de justice pour mineurs (Équateur) ;

« Éliminer en droit et en pratique les châtiments corporels et l’amputation de membres, la maltraitance et la négligence des enfants, les mutilations génitales féminines, les mariages forcés et précoces et l’alimentation forcée des filles, ainsi que les problèmes liés à l’enregistrement des naissances, et demander l’assistance technique en la matière aux organismes des Nations Unies, comme l’a recommandé le Comité des droits de l’enfant (Israël) ;

« Prendre des mesures pour réduire le phénomène généralisé du travail des enfants et de la traite des enfants, relever l’âge de la responsabilité pénale et éliminer les châtiments corporels sur les enfants (Norvège) ;

« Renforcer le cadre juridique pour la protection de l’enfant et éliminer les dispositions du Code pénal fixant l’âge de la responsabilité pénale à 7 ans ainsi que les châtiments corporels sur les enfants, notamment la flagellation et l’amputation (France) ;

« Faire en sorte que l’âge minimum de la responsabilité pénale et l’âge minimum pour le mariage soient conformes aux dispositions de la Convention relative aux droits de l’enfant, et interdire toutes les formes de châtiments corporels (Espagne) ».

Le gouvernement n’a pas répondu aux recommandations.

L’examen dans le cadre du deuxième cycle a eu lieu en 2015 (23e session). Aucune recommandation n’a porté spécifiquement sur les châtiments corporels infligés aux enfants. Toutefois, le gouvernement a accepté les recommandations visant à aligner les lois nationales avec les normes internationales et à améliorer la législation traitant de la violence familiale. [2]

 

[1] 4 janvier 2011, A/HRC/16/17, Rapport du groupe de travail, par. 92(30), 92(39), 92(40), 92(42) et 92(45)

[2] 23 décembre 2015, A/HRC/31/6, Rapport du groupe de travail, par. 126(1), 126(2), 126(3), 126(4), 126(12), 126(39), 126(40) et 126(41)

Recommandations par les organes de traités

Comité des droits de l'enfant

(17 juin 2009, CRC/C/MRT/CO/2, Observations finales sur le deuxième rapport, par. 40, 41 et 74)

« Le Comité est préoccupé par le fait que le Code pénal prévoit des châtiments corporels, notamment la flagellation et l’amputation pour des enfants. Il note que les châtiments corporels sont interdits dans les établissements scolaires par un arrêté ministériel, mais il est préoccupé par le fait que ces châtiments sont encore largement pratiqués à l’école et dans la famille.

« Le Comité recommande à l’État partie de réviser son Code pénal afin d’interdire expressément par la loi tout châtiment corporel et de faire appliquer cette interdiction dans tous les contextes, y compris dans la famille, à l’école et dans les structures de protection de remplacement. Il lui recommande également d’organiser des campagnes de sensibilisation en faveur d’autres formes de discipline, respectueuses de la dignité de l’enfant et conformes aux dispositions de la Convention, en particulier au paragraphe 2 de l’article 28, compte dûment tenu de l’Observation générale n° 8 (2006) du Comité concernant le droit de l’enfant à une protection contre les châtiments corporels et autres formes cruelles ou dégradantes de châtiments. Le Comité recommande en outre à l’État partie de solliciter l’assistance technique de l’UNICEF pour mettre en œuvre les programmes pertinents à l’école.

« Le Comité recommande à l’État partie :

a) d’entreprendre une évaluation systématique du phénomène des enfants des rues, en particulier des talibés, pour en appréhender les causes profondes, l’ampleur, les liens avec d’autres facteurs, notamment la pauvreté, la situation des marabouts, les châtiments corporels, l’exploitation, l’absence de responsabilité parentale et le manque d’accès à l’école et aux établissements de santé ; [...] »

 

Comité des droits de l’enfant

(6 novembre 2001, CRC/C/15/Add.159, Observations finales sur le rapport initial, par. 29 et 30)

« Le Comité déplore que la pratique des châtiments corporels soit répandue dans les familles. Il constate en outre qu’elle n’est pas expressément interdite dans les écoles et les institutions.

« Eu égard aux articles 3, 19 et 28 (par. 2) de la Convention, le Comité encourage l’État partie :

a) à élaborer des mesures pour faire prendre conscience à la population des effets préjudiciables des châtiments corporels et à s’employer à promouvoir l’application d’autres formes de discipline, qui respectent la dignité de l’enfant et soient conformes à l’esprit de la Convention ; et

b) à interdire expressément les châtiments corporels dans la famille, à l’école et dans les autres institutions. »

 

Comité contre la torture

(18 juin 2013, CAT/C/MRT/CO/1, Observations finales sur le rapport initial, par. 25)

« Nonobstant l’adoption de l’ordonnance n° 2005-015 du 5 décembre 2005 portant protection pénale de l’enfant, qui prévoit des peines d’emprisonnement pour les cas de torture et de barbarie commis contre des enfants, le Comité s’inquiète de ce que les châtiments corporels des enfants ne sont pas interdits par la loi et semblent même être considérés comme une méthode éducative convenable et efficace (art. 16).

« L’État partie devrait :

a) modifier sa législation, et notamment l’ordonnance n° 2005-015 portant protection pénale de l’enfant, afin d’interdire et de pénaliser explicitement toute forme de châtiment corporel des enfants dans tous les milieux et contextes, y compris la famille, et consacrer le principe d’une éducation sans violence, conformément au paragraphe 2 de l’article 28 de la Convention relative aux droits de l’enfant ;

b) conduire des programmes d’éducation, de sensibilisation et de mobilisation du grand public, associant les enfants, les familles, les communautés et les responsables religieux, et portant sur les effets néfastes des châtiments corporels, tant sur le plan physique que sur le plan psychologique ».

 

Comité des droits de l'homme

(21 novembre 2013, CCPR/C/MRT/CO/1, Observations finales sur le rapport initial, par. 16)

« Tout en notant l’adoption par l’État partie de l’ordonnance n° 2005-015 du 5 décembre 2005 portant protection pénale de l’enfant, le Comité est préoccupé par le fait que les châtiments corporels des enfants persistent dans l’État partie et ne sont pas explicitement interdits par la loi (art. 7 et 24).

L’État partie devrait prendre des mesures concrètes pour mettre fin à la pratique des châtiments corporels en toutes circonstances. Il devrait encourager l’utilisation des méthodes disciplinaires non violentes pour remplacer les châtiments corporels et mener des campagnes d’information afin de sensibiliser le public aux conséquences préjudiciables de ce type de violence ».

 

Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes

(11 juin 2007, CAT/C/MRT/CO/1, Observations finales sur le rapport initial, par. 29 et 30)

“… Le Comité est particulièrement troublé [...] par la persistance des attitudes patriarcales qui justifient les châtiments corporels infligés aux membres de la famille, en particulier aux femmes.

« Le Comité engage vivement l’État partie à donner la primauté à l’adoption d’une démarche globale qui permette de combattre toutes les formes de violence dirigée contre les femmes [...] »

Études sur la prévalence/attitudinales au cours des dix dernières années

Selon une étude menée en 2015 par l’UNICEF dans le cadre de son programme d’enquêtes par grappes à indicateurs multiples, 80 % des enfants âgés de 1 à 14 ans, en moyenne, auraient subi des sanctions disciplinaires violentes (agressions psychologiques ou châtiments corporels) dans le mois précédant l’étude. En moyenne, 72 % des enfants auraient subi une agression psychologique, 42 % une punition physique et 27 % une punition physique sévère (comme recevoir des coups ou des gifles au niveau du visage, de la tête ou des oreilles, ou bien recevoir régulièrement des coups). Seuls 10 % des enfants auraient uniquement connu des formes non violentes de discipline.

(Institut National de la Statistique [2016], Enquête par grappes à indicateurs multiples, 2015, Résultats clés, Nouakchott, Mauritanie : L’Office National de la Statistique)

Les statistiques collectées par l’UNICEF en 2011 indiquent que 87 % des enfants âgés de 2 à 14 ans auraient été exposés à une forme violente de « discipline » (châtiments corporels ou agressions psychologiques) dans le foyer pendant les mois ayant précédé l’étude. 78 % auraient subi des châtiments corporels et 82 % une agression psychologique (telle que se faire crier ou hurler dessus, ou se faire insulter) ; un plus petit pourcentage (36 %) des mères et des aidants estimaient que les châtiments corporels étaient nécessaires dans l’éducation des enfants.

(UNICEF [2014], Cachée sous nos yeux : une analyse statistique de la violence envers les enfants, NY : UNICEF)

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